vendredi 4 avril 2014

Nous portons tous des masques

" Nous portons tous des masques, 
mais vient un temps où on ne peut plus les retirer sans s'arracher la peau. »
 André Berthiaume. 





jeudi 3 novembre 2011

Printemps au bord de l'eau

Puisque mai tout en fleurs dans les prés nous réclame


Puisque mai tout en fleurs dans les prés nous réclame,
Viens ! ne te lasse pas de mêler à ton âme
La campagne, les bois, les ombrages charmants,
Les larges clairs de lune au bord des flots dormants,
Le sentier qui finit où le chemin commence,
Et l'air et le printemps et l'horizon immense,
L'horizon que ce monde attache humble et joyeux
Comme une lèvre au bas de la robe des cieux !
Viens ! et que le regard des pudiques étoiles
Qui tombe sur la terre à travers tant de voiles,
Que l'arbre pénétré de parfums et de chants,
Que le souffle embrasé de midi dans les champs,
Et l'ombre et le soleil et l'onde et la verdure,
Et le rayonnement de toute la nature
Fassent épanouir, comme une double fleur,
La beauté sur ton front et l'amour dans ton coeur !

Victor Hugo

Ronde de nuit




Son coeur se mit à battre plus vite.
Dix minutes auparavant, elle était allongée ainsi, savourant la proximité familière et secrète du corps de Julia.
Elle voulait fixer cet instant, en faire une larme de cristal.
A présent, le cristal s'était brisé.
Car qu'était la jeune femme pour elle en fait?
Elle ne pouvait pas se pencher vers elle et l'embrasser;
Comment faire savoir au monde entier que Julia était à elle?
Quel moyen avait elle pour s'assurer qu'elle lui restait fidèle?
Elle-même, voilà tout : ses cuisses en hachis de veau, sa tête de ravissant oignon...
Toutes ces pensées parcouraient ses veines comme un torrent de sang noir, tandis que Julia lisait; que l'orchestre lançait un dernier ra- ta- ta avant de remballer ses instruments; que le soleil traversait lentement le ciel, et que les ombres s'allongeaient à mesure sur l'herbe jaune..
Mais cette angoisse affreuse, pitoyable, finit par s'apaiser.
L'ombre se retira de son sang, se replia.
Et elle se dit : Mais quelle idiote tu fais! Julia t'aime.
C'est uniquement l'animal en toi qu'elle déteste, ce monstre grotesque...."



"Ronde de nuit" de Sarah Waters

Des soirs de douceur




Il est ainsi des soirs faits de douceur qui flotte,
De beaux soirs féminins où le coeur se dorlote,
Et qui font tressaillir l'âme indiciblement
Sous un baiser qui s'ouvre au fond du firmament.

Tes yeux me souriaient... et je marchais heureux
Sous le ciel constellé, nocturne et vaporeux,
Pendant que s'entrouvrait, blancheur vibrante et pure,
Mon âme - comme un lys ! - passée à ta ceinture.

Albert Samain

De soi-même



Plus ne suis que j'ai été
Et ne saurais jamais être
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.

Amour, tu as été mon maître
Je t'ai servi sous tous les dieux.
Ah si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux!

C. Marot

Je m'en vais



Je m'en vais, ô mémoire !
à mon pas d'homme libre,
sans horde ni tribu,
parmi le chant des sabliers, et,
le front nu,
lauré d'abeilles de phosphore,
au bas du ciel très vaste d'acier vert
comme en un fond de mer,...
je flatte encore en songe,
de la main,
parmi tant d'êtres invisibles,
ma chienne d'Europe qui fut blanche et,
plus que moi, poète.

St. Jonh Perse

Les yeux



Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux
Et le soleil se lève encore.

Les nuits plus douces que les jours
Ont enchanté des yeux sans nombre ;
Les étoiles brillent toujours
Et les yeux se sont remplis d'ombre.

Oh ! qu'ils aient perdu le regard,
Non, non, cela n'est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible ;

Et comme les astres penchants,
Nous quittent, mais au ciel demeurent,
Les prunelles ont leurs couchants,
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent :

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux
Les yeux qu'on ferme voient encore.

René-François Sully Prud'Homme

vendredi 14 octobre 2011

L'inquiet désir

 .


Voici l'été encor, la chaleur, la clarté,
La renaissance simple et paisible des plantes,
Les matins vifs, les tièdes nuits, les journées lentes,
La joie et le tourment dans l'âme rapportés.

- Voici le temps de rêve et de douce folie
Où le coeur, que l'odeur du jour vient enivrer,
Se livre au tendre ennui de toujours espérer
L'éclosion soudaine et bonne de la vie,

Le coeur monte et s'ébat dans l'air mol et fleuri.
- Mon coeur, qu'attendez-vous de la chaude journée,
Est-ce le clair réveil de l'enfance étonnée
Qui regarde, s'élance, ouvre les mains et rit ?

Est-ce l'essor naïf et bondissant des rêves
Qui se blessaient aux chocs de leur emportement,
Est-ce le goût du temps passé, du temps clément,
Où l'âme sans effort sentait monter sa sève ?

- Ah ! mon coeur, vous n'aurez plus jamais d'autre bien
Que d'espérer l'Amour et les jeux qui l'escortent,
Et vous savez pourtant le mal que vous apporte
Ce dieu tout irrité des combats dont il vient...

Anna de Noailles

L'amour toujours

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"Le verbe aimer est un des plus difficiles à conjuger : son passé n'est pas simple, son présent n'est qu'indicatif et son futur est toujours conditionnel."

Jean Cocteau

Soif d'un baiser

.

Comme une ville qui s'allume
Et que le vent vient embraser,
Tout mon cœur brule et se consume,
J'ai soif, oh ! j'ai soif d'un baiser.

Baiser de la bouche et des lèvres
Où notre amour vient se poser,
Pleins de délices et de fièvres,
Ah ! j'ai soif d'un baiser !

Baiser multiplié que l'homme
Ne pourra jamais épuiser,
O toi, que tout mon être nomme,
J'ai soif, oui d'un baiser.

Fruit doux où la lèvre s'amuse,
Beau fruit qui rit de s'écraser,
Qu'il se donne ou qu'il se refuse,
Je veux vivre pour ce baiser.

Baiser d'amour qui règne et sonne
Au cœur battant à se briser,
Qu'il se refuse ou qu'il donne
Je veux mourir de ce baiser.

Germain Nouveau

(1851-1920)